Semaine 1 :
Bonjour à tous! Demain je pars en tournée et je veux vous amener avec moi. Non, pas dans la van, dans ma tête…
Je suis une fille très chanceuse, choyée même. Je vis de mon art (knock on wood!) et j’adore mon métier. Ma première tournée était en 1996… Moi et Rachel on avait emprunté le pick-up à mon père, Léon – le camion, pas mon père – et on a « frappé la route » comme j’aime dire, avec seulement un ou deux shows de prévus. 15 000 km plus tard, on avait passé deux mois à busker, à payer le gaz avec des rouleaux de 25 cennes, à faire des open stage et à saisir les opportunités quand elles se présentaient. Depuis, je suis accro. C’est une drogue.
Des tournées, j’en ai vu de toutes les couleurs. Y’a des hauts et des bas, des moments complètement absurdes, des rencontres mémorables, des échecs monumentaux et des petites victoires personnelles. Mais ce que j’aime surtout c’est de me sentir suspendue entre deux, dans un genre d’univers parallèle. C’est-tu juste moi?
Avant de partir, j’aimerais beaucoup remercier l’équipe de BRBR et TFO de m’avoir invitée à partager ce voyage avec vous. C’est quelque chose que je fais déjà un peu sur mon site Web. Le rituel du retour à la maison a toujours été de lister le « top 5 » des meilleurs moments de la tournée, séquelles de l’époque où je travaillais chez Sam the Record Man, où on se croyait dans Hi-Fidelity ou Empire Records. J’avoue ça me donne un peu le trac de penser qu’ici je pourrais dépasser le compte de mes quelques lecteurs habituels!
Voici donc ce que je vous promets pour cette série d’articles : des anecdotes, des émotions et un peu tout ce qui peut me passer par la tête pendant ce prochain road trip. Surtout, je vous promets que ça va être honnête
Embarquez-vous?
Semaine 2: Batman et Cat Woman en tournée
Voici une tournée qui commence bien. Dans la loge, avant le premier show, j’entends Rick (mon guitariste) pousser un cri de joie. Je cours dans le couloir et l’aperçois, les yeux qui brillent comme un petit garçon le matin de Noël. Il crie « Y’a des Pez!! ». Oubliez la bière dans les loges, on a eu des Pez. Rick était Batman, moi, Cat Woman…
J’ai beau avoir une quinzaine d’années de métier dans le corps, on s’entend, je ne suis pas connue. Quand j’ai l’opportunité de faire des beaux shows comme ça, les gens me découvrent souvent pour la première fois. Il faut séduire, comme une première « date », sauf que j’ai l’avantage d’avoir un micro devant la face (je ne recommande pas cette stratégie pour un réel premier rendez-vous romantique). Je sais que ça va bien quand les gens réagissent et quand je réussis à les faire rire. Ça fait tomber les barrières.
Aussi, j’ai réalisé quelque chose. Un show, ça ne se fait pas tout seul. C’est-à-dire que quand je suis sur scène, je donne toute mon énergie, mais le public joue un grand rôle. Parfois il est gêné, réservé, poli. Parfois, il est tellement attentif que le silence est comme chargé d’amour. Mais quand il répond et participe, quand il donne son énergie, y’a de la magie qui passe.
Il y a un moment dans le spectacle où l’on joue à chanter des bouts de tounes connues sur les accords d’un de mes refrains. Si j’ai envie de chanter le thème de Sesame Street, ou Girls Just Wanna Have Fun, j’le fais. On peut chanter n’importe quoi sur un La mineur et un Do! À Edmundston, quelqu’un a demandé Bobby McGee. Puisque je ne la connaissais pas bien, il l’a chanté lui-même! À Petit Rocher, une femme s’est spontanément mise à chanter du Beatles. Ça c’est ce que j’appelle du partage et la soirée s’est terminée avec une ovation debout. Ça faisait longtemps que je n’avais pas été nourrie comme ça par une foule. Ça fait du bien, c’est du bonbon… Du Pez! C’est comme après la première « date », le sourire intérieur qui t’habite quand tu sais que tu vas revoir la personne…
Un immense merci aux gens d’Edmundston, Moncton, Néguac et Petit Rocher. J’ai hâte de vous revoir!
Semaine 3: De pères en filles
J’avais juste un show cette semaine, mais c’était très, très cool : Un plateau double avec Émilie Clepper à Toronto pour Chansongs, une série de rencontres entre artistes francophones et anglophones.
Émilie a grandi à Québec avec un père musicien, Texan, et elle chante en anglais. Moi j’ai grandi en Saskatchewan avec un père obsédé par Jacques Brel et je chante en français. J’ai eu beaucoup de plaisir sur la route à observer les contrastes et les similarités entre nous.
Ça commence avec la guitare. On lui donne toutes les deux une grande importance, c’est presque un objet sacré. Ma guitare est neuve. Elle a 2 mois. Elle shine encore. C’est mon professeur de lutherie qui me l’a construite. On a décidé chaque détail ensemble. On a choisi le bois et la forme pour la sonorité que je recherchais. J’ai un lien très spécial avec elle et le fait de comprendre sa construction me donne encore plus de respect pour l’instrument.
La guitare d’Émilie est tout aussi magnifique. Une vieille Gibson qui appartenait à son père. Le bois est tout égratigné, les frettes usées, le pic guard arraché. Son père lui a donné à ses 18 ans. Je n’ai jamais vu un aussi grand contraste entre deux guitares, mais elles sonnent toutes les deux incroyablement bien. Je crois qu’elles représentent la transmission de connaissance…
Émilie a chanté plusieurs chansons de son père pendant le show. On voyait combien il l’a influencé. Ça m’a fait penser à mon père. Il est complètement « tone-deaf », mais quand on faisait des voyages de famille quand j’étais petite, il chantait quand même à tue tête dans la voiture. (du Brel, bien sûr!) Ça c’est quelque chose qui m’a grandement inspiré. Un espèce d’entêtement…
On a eu des heures à discuter dans le train, en chemin pour Toronto. Une autre chose qui m’a sauté aux yeux en parlant avec Émilie c’est combien on donne de l’importance à la connexion humaine entre musiciens. Faire un show avec quelqu’un, ça a une dimension très intime. Des fois c’est pas facile, ça demande beaucoup d’ouverture. J’ai eu des frissons quand on chanté « If I needed you » de Townes Van Zandt en harmonie, avec Rick au pedal steel derrière nous.
À son retour, Rick m’a donné le plus beau compliment. Il m’a écrit « Merci beaucoup à toi et Émilie. Pour moi, c’était un peu comme jouer sur mon Dream Team. » En voilà un autre qui comprend…
Semaine 4: de Whitehorse à Vancouver
Mardi passé, on a quitté Montréal en petit coat d’automne. 4 films plus tard, on atterri à Whitehorse dans un -29 degrés violent, mais drôlement familier. Saskatchewan-cold. Je sors le parka de ma valise. Louis-Jean Cormier a un beau casque de poils, mais a oublié ses long johns. C’était la veille de notre premier show et j’avoue que j’étais un peu plus nerveuse que d’habitude.
Le lendemain, j’ai trouvé mon frileux Rick Haworth très brave d’aller marcher dans les collines. (Au bout d’une heure, il ne sentait plus sa mâchoire!) Moi, j’ai préféré m’asseoir dans un café pour écrire. Le diffuseur nous raconte que Whitehorse c’est souvent un endroit où se retrouvent les gens qui veulent s’éloigner du style de vie de la ville, des gens qui ne « fittent » pas dans la société conventionnelle, des excentriques, des mordus de plein air. J’observe le monde. Quatre vieilles dames en chemises carottées jouent aux cartes. Un ado en chapeau haut-de-forme jase avec sa copine, petite néo-hippie du nord. De beaux hommes barbus en pantalon de ski travaillent sur leur portable ou écrivent. Je les écoute discuter de la construction de leurs bateaux, de la chasse à l’orignal ou de la dernière exposition de leur art. On dirait que tout le monde est un artiste ici. Tout le monde joue dans un band. J’me sens bien.
Le spectacle se déroule au Old Fire Hall, magnifique bâtisse aux immenses poutres de bois. Le monde se tasse, emmitouflé dans la salle comble, et le show passe tellement vite! J’ai juste le souvenir d’avoir taquiné un peu la foule en imaginant l’intensité de la population de Whitehorse un soir de pleine lune…
Après le show, une dame me dit, « Je t’ai déjà vu en spectacle il y a 20 ans! ». Pour une minute, j’me suis dis que c’était pas possible. Puis j’ai fait le calcul. Méchant coup de vieux! (For the record, j’avais 16 ans.) Après un verre de vin, j’arrive à me dire que c’est quand même incroyable de faire exactement ce que le moi-à-16-ans voulait faire dans la vie. Ça a pris du temps, mais ces jours-ci, les choses vont bien…
Le lendemain, jeudi, il faisait à peine -1 à Vancouver. Mon parka est un peu excessif. Le public est tellement réceptif que je me laisse aller à des fous rires un peu plus que d’habitude, Louis-Jean aussi. Pour un théâtre de 200 places, c’était drôlement intime. Y’a quelque chose dans l’air du BC…
Dernièrement, j’ai l’habitude de jouer dans des toutes petites salles. Louis-Jean Cormier est en train de faire monter ma moyenne d’assistance par spectacle de façon exponentielle et j’en suis très reconnaissante!
Semaine 5: Winnipeg, Régina et Toronto - Sortir ou dormir
Je viens de terminer la deuxième run de la tournée avec Louis-Jean et il faut que je commence en vous avouant que je suis très fatiguée. En même temps, je suis comme remplie d’une drôle d’énergie qu’on pourrait seulement qualifier d’adrénaline de musicienne bionique. En tournée, après chaque show, il y a un choix à faire.
Avant de repartir cette semaine, j’ai passé 5 jours de « vacances » avec ma famille à Saskatoon. J’ai fait l’erreur de virer une brosse avec mon frère et mon cousin la veille de mon départ et le lendemain matin, quand le téléphone m’a réveillé à 7h15, j’ai réalisé que j’avais aussi fait une erreur dans le calcul de mes fuseaux horaires. C’est pas grave, je sais maintenant que je suis capable de faire une entrevue live à la radio, dans mon lit, à peine sortie du sommeil.
Le premier show à Winnipeg était un drôle de mélange de souvenirs et de retrouvailles-surprises, des amis d’enfance. J’avais un petit mal de gorge qui commençait. Heureusement, j’avais ma tisane au Fisherman’s Friend (Oops, est ce que je viens de niaiser avec le continuum espace-temps?? Pour la recette -et la référence- consulter le blog de François Lachapelle sur https://www7.tfo.org/brbr/category/blogue/) Me voici confrontée à la décision classique de tournée : Sortir ou dormir? Cette soirée-là, j’ai opté pour le sommeil et les vitamines, envieuse, quittant Louis-Jean et Adèle qui s’en allaient vivre le night-life de St-Boniface. Les champions!
Un avion très matinal nous a ramené à Régina. C’était à la fois merveilleux et terrifiant de jouer pour le public de chez-moi en Saskatchewan. J’ai toujours tellement envie de leur donner un bon show, comme pour leur prouver que je ne suis pas partie vivre au Québec en vain… Enfin, ça s’est super bien passé et cette fois-là, la décision était un peu plus claire. Y’avais un party chez mon ami Gaetan Benoit, et il n’était pas question de ne pas y aller, même avec un départ prévu pour 6h du matin. En plus, j’avais comme mission de prouver à mes collègues de tournée, les champions, que j’étais capable moi aussi! Ça a fait tellement de bien de me défouler avec des Fransaskois, ma grande famille.
On rentre sagement à l’hôtel vers 2h mais y’avait de l’insomnie dans l’air et à 4h30, je regardais toujours le damné cadran rouge. Ça me fait une heure et demie de sommeil, suivie de la plus belle sieste de ma vie dans l’avion vers Toronto.
Une fois passée dans le réservoir d’urgence ou sur la batterie de secours, on ne peut que continuer. Le show à Toronto a été un des plus beaux de la tournée. La gang est encore montée sur scène avec moi chanter Jerrycan avec un nouveau couplet composé exprès pour eux et j’ai pu me vanter d’avoir de si prestigieux choristes! Le bureau du Québec à Toronto a lancé une réception après, éliminant ainsi la décision, m’imposant la non-sagesse. (Je ne me plains pas!) Y’avais un petit rush à défouler.
J’ai passé une journée de plus à Toronto à composer une chanson avec Tricia Foster. Est-ce que j’ai vraiment besoin de vous conter la suite? Au moment où je vous écris, je suis à l’aéroport Billy Bishop, attendant l’embarquement avec deux heures de sommeil dans le corps, encore loadée d’adrénaline de musicienne bionique.
Semaine 6: Il était une fois le Nord de l’Ontario, un soir de tempête de neige, de match de hockey… Et de bingo!
Ce fut un bref retour à la maison la semaine passée. J’ai même pas fait de lavage, juste le temps d’embrasser mon chum, mettre de l’ordre dans les factures accumulées dans mon porte-monnaie, re-stocker l’inventaire de CD’s dans ma valise et repartir.
Notre dernier show de la tournée Coup de cœur francophone était à Hearst. Par contre, à ce temps-ci de l’année, l’aéroport n’est pas ouvert à Hearst, alors on s’est envolé vers Timmins la veille du show et, tant qu’à être là, mon agente nous a trouvé un autre spectacle en chemin.
C’était dans l’Nord de l’Ontario, un soir de tempête de neige et de match de hockey. Arrivée sur place je suis super impressionnée, y’a des affiches partout et des dépliants qui annoncent notre spectacle. Tout se passe bien au test de son jusqu’à ce que quelqu’un vienne chuchoter dans l’oreille du soundman. Il est de l’étage en haut, au centre culturel, y paraît qu’on dérange le bingo. Tant pis, on fait ce qu’on a à faire. Avant de jouer je négocie les télévisions (il y en a 5) avec le barman. Je demande gentiment si c’est possible de les éteindre. « C’est parce que si je vois ça pendant que je chante, c’est sûr que je vais oublier mes paroles! », que je dis en essayant de garder un sourire taquin. Il me demande si, dans ce cas-là, c’est correct de laisser allumé le grand écran situé directement à côté de la scène. Je dis non, sourire moins taquin.
Vers 19h30, on constate que c’est pas si mal, y’a du monde! Dans le fond de la salle, 4 ou 5 tables de gens jouent aux cartes. C’est cool, je viens de la Saskatchewan, j’me creuse la tête pour trouver des anecdotes de ma grand-mère, championne de Canasta. Je me remémore mon « lingo » de bridge. J’me sens capable, même « primée » pour aller les chercher, ces gens-là! Dès que j’embarque sur scène, même pas le temps de brancher ma guitare, ils se lèvent et partent! Je me retrouve soudain dans un endroit péniblement familier… Un bar vide. Il reste le diffuseur (Mélanie, qui a quand même fait tout son possible!), le soundman, et 2 gars qui boivent des shooters. Rick me rassure et blâme la tempête, mais moi j’me demande… Est ce que ça pourrait être un genre de karma communautaire qui me revient?! J’me dis tiens, ça m’apprendra à venir déranger un bingo!! Louis-Jean, où es-tu, j’ai besoin de toi?!!
C’est correct. Le lendemain matin, on prend la route pour le Centre des Arts de Hearst. Air Canada a temporairement égaré la guitare de Louis-Jean, alors je lui prête la mienne. C’est un beau spectacle, comme tous les autres de cette tournée. Après le show de la veille, j’en suis doublement reconnaissante.
Triste que ça finisse.
Semaine 7: Le retour
Ça fait une semaine que je suis de retour à la maison. Ouais, ça va. Le down post-tournée (aussi connu sous le nom de dépression post-production) n’a pas été si mal. J’ai passé à travers. C’est une condition très commune vécue par les artistes après une période intense de création ou d’activité. Les symptômes peuvent varier, d’un simple petit blues, à la confusion, à des éclats de larmes sporadiques, à des moments d’anxiété intense ou encore, à un requestionnement complet de ses choix de vie.
J’ai l’habitude. Je sais que ça va passer. Cette fois-ci, je qualifierais mon après-tournée de simple… Ennui.
Pourtant, c’est pas que c’est si excitant que ça être en tournée! Y’a en masse du « hurry up and wait ». Debout à 6h du matin pour prendre un avion, attendre à l’aéroport, attendre le sound check, attendre le show, faire le show, prendre une (ou quelques) bières et – BAM – soudain t’as une journée de 18 heures dans le corps! Et ça recommence le lendemain. Pourquoi est-ce que j’aime tant ça?!
J’ai une théorie. En tournée, on a le droit de « juste être », en plein dans le moment présent. Ha! Zen and the Art of Touring! Y’a une liberté dans toute cette attente. Dans un aéroport, t’as le droit de rien faire sauf regarder le monde ou lire un livre. Dans une chambre d’hôtel, t’as le droit de rien faire sauf regarder Say Yes to the Dress. Dans une voiture, tu ne peux rien faire sauf écouter de la musique et dans une loge, quand t’as une heure avant le show, t’as le droit d’être nerveuse puis juste penser à ta performance, à la repasser dans ta tête. Ou encore mieux, t’as le droit de juste dire des niaiseries avec ton musicien pour essayer de ne pas y penser.
Tout ça, ça doit me faire passer pour une paresseuse digne de ce nom! Ben non, je travaille fort sur la route quand même, je traîne mon portable partout comme tout le monde, je fais du bureau, fais de la promotion sur les médias sociaux, j’écris ce blog. Mais le faire dans le feu de l’action, sur la route, c’est gratifiant. C’est une preuve tangible que je ne fais pas tout ce travail pour rien.
À la maison, cette fois-ci, j’ai juste le sentiment que tout a ralenti. J’sais pas trop quoi faire de moi-même et en même temps, j’ai une urgence de recommencer. J’me bats un peu contre la phobie irrationnelle que je ne trouverai plus jamais de gigs. Maintenant, j’essaie de faire mon plan pour passer à la prochaine étape. Y’a juste un peu moins de mouvement autour de moi. J’suis pas sur un avion en chemin pour Whitehorse, j’suis chez moi, à mon bureau, en pyjama.
Y’a quand même des beaux côtés à rentrer à la maison, retrouver l’amoureux, revoir les amis… Et quand je me lève au milieu de la nuit pour aller pisser, je sais où est la toilette, les yeux fermés. Pas besoin de m’inquiéter que je vais tomber dans le bain ou foncer dans un mur par ce que je ne veux pas allumer la lumière. Faits vécus.
Un immense merci à Brbr de m’avoir invitée à partager ces petits moments avec vous.
À la prochaine tournée…